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  • Crédit: Oleksiy Rezin

René Ouellet : roue libre autour du monde

Parti pour un tour du monde à vélo en 2000, le gaspésien René Ouellet revient la tête remplie d’histoires, mais surtout plus que jamais confiant en l’humanité. 80 000 kilomètres d’aventures, de rencontres, d’apprentissage. Une leçon d’humanité que le voyageur brûle de partager.

Une longue règle de bois dans une main, les jambes bien moulées dans un cuissard, René Ouellet montre aux enfants d’une classe primaire de Montréal le tracé de son parcours sur une grande carte du monde. En cette fin septembre, il est de retour au Québec depuis quelques jours à peine. Son vélo, chargé comme une mule, est à côté. Il leur explique : l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Asie… les difficultés, la fatigue, les singes, le vent, les rencontres… 80 000 kilomètres, 5 continents, une soixantaine de pays, 5 années d’absence, dont deux et demie à pédaler, l’atteinte des 6 points les plus extrêmes de la planète. Une petite fille, dans la classe, lui demande : « Dis monsieur, qu’est-ce qui t’a donné l’idée d’aller rencontrer plein de gens? » Bonne question! Je lui poserai la même…

L’invraisemblable projet

Lorsque cet ex-policier (baccalauréat en art, communication, marketing, vente… ) quitte sa Gaspésie pour un invraisemblable tour du monde à vélo, il n’est ni perdu, ni désespéré. Ça va plutôt bien merci. Il ne fuit rien. Il a 50 ans, quelques économies, il est divorcé et il a un fils. Un tableau somme toute conventionnel. C’est l’appel de l’aventure — un vieil ami — qui prend le dessus; c’est aussi le réveil d’un rêve de longue date. Il est en santé; il peut même miser sur quelques qualités athlétiques. Il est bien dans sa peau (condition absolue pour la réussite d’un tel voyage, insiste-t-il). Dans son entourage néanmoins, cette décision ne suscite pas que des applaudissements, de la crédulité pas davantage. Lorsqu’il aura atteint le sud du sud de l’Amérique, on commencera à le croire.

Ni mystique ni mystère dans ce départ : c’est un homme simple qui va à la rencontre de l’aventure et des hommes. Les balises sont fixées dès le début : s’en tenir à un human trip (expression qu’il affectionne), susciter les rencontres, rouler « à l’économie », par nécessité et par principe. Il s’en remet à sa tente et à l’hospitalité des gens. Ce voyage ne sera donc pas touristique, pas plus qu’il ne louchera du côté de l’exploit sportif et du record. « Je partais avec l’idée de rencontrer des gens, de « vraies gens » vivant dans leur univers, pas des touristes. »

L’aventure au rendez-vous

Jour après jour, les surprises, les rencontres, les anecdotes constituent son quotidien. Cependant — orientation rétrospective ou trait de personnalité? —, René Ouellet n’aime pas « abandonner » les événements au domaine du hasard, au non-sens. La destinée? Il la sent se manifester à travers ces « drôles de hasards » qui lui tombent dessus : il veut du travail; en voici soudain; il cherche un gîte, on l’accoste à l’instant; un commanditaire lui faciliterait la vie; en voici un, tombé du ciel… de Panama ! Et la liste est longue. Chose certaine, tout événement participe pour lui de l’expérience humaine et s’inscrit dans la thématique de l’apprentissage. « Pendant cinq années, j’étais un étudiant, j’étudiais le monde. » Rencontres fulgurantes, traversées de territoires dangereux, nuits dans des palaces ou dans des basses-cours, entre porcs et poules, amitiés avec ses hôtes improvisés… peu importe, c’est toujours l’humain qui, d’une façon ou d’une autre, se mesure au monde et à soi-même. Dans les moments de joie, dans les instants de détresse, victime de vol ou accueilli comme un frère, à travers l’expérience de la faim, de la soif, de l’épuisement, René Ouellet affirme avoir appris, avoir grandi.

Terre des hommes

Et au cœur de cet apprentissage, c’est bien surtout lui-même que va trouver l’aventurier. Au moment de partir, et en dépit d’un bien-être global, un ensemble de valeurs (vitesse, argent, superficialité, consommation) entretiennent chez lui une insatisfaction et lui donnent envie d’aller voir ailleurs. Le monde, les autres, la différence, toutes les conjugaisons de l’altérité vont vite le révéler à lui-même. « Avec la multiplication des contacts spontanés, vrais, simples, j’ai redécouvert les émotions, et la capacité de les exprimer. » Son vélo s’avère un ambassadeur formidable, suscitant la curiosité, l’incrédulité, l’admiration, la fraternité aussi. Le voilà à hauteur d’homme, peinant pour chaque kilomètre de la planète qu’il parcourt. Tout cela (et sa candeur, au premier chef) provoque chez l’autre l’expression d’une bonté qui, selon lui, est partout latente. L’humain serait-il bon? René croit que oui.

Et le voilà, relevant avec malice l’écart entre les représentations médiatiques et la réalité. Conflits armés, peuples hostiles, ghettos noirs, lieux « à éviter »… On le met continuellement en garde. Pourtant, guidé par son indéfectible optimisme, le voyageur ne rencontre presque toujours que… des hommes, des hommes comme lui, interloqués d’abord par sa présence, puis vite fraternels, solidaires, généreux. On l’invite partout, on l’accueille à bras ouverts, on l’aide. Cette humanité ne laisse pas d’émerveiller et d’émouvoir le cycliste.

« On s’est privé pour me nourrir; on a veillé sur moi des nuits entières en Afrique; des Iraniens m’ont « dérangé » le soir à ma tente, pour m’offrir un plateau de fruits; on m’a fait confiance, on m’a donné de l’argent; on m’a prêté des maisons… » Ce sera la grande découverte de son périple : la bonté est partout.

Le voyage intérieur

Au cours des nombreuses conférences qu’il a données un peu partout dans le monde, le mot « incroyable » revient comme une litanie. Il traduit d’une part la fascination de cet homme de 55 ans — en témoigne la barbe grise —, les yeux aussi pétillants que ceux des enfants, qui n’en revient pas encore lui-même de cette aventure. C’est aussi un aveu d’impuissance à l’égard de ses capacités d’expression : son récit est condamné à l’insuffisance, car il y a aussi dans cette expérience beaucoup de « voyage intérieur », d’indicible. Cependant, la réaction magique et émouvante des enfants ne laisse pas de doute sur la force contagieuse de l’exemple et du récit. Après son exposé, les questions fusent.

— Monsieur, c’est quoi, ta nourriture préférée? Vous êtes-vous ennuyé de la Gaspésie? Êtes-vous allé à la Muraille de Chine? Quel est l’animal que vous avez vu le plus? Avez-vous eu beaucoup de crevaisons? Combien de temps tu dormais?...

Le temps du partage

Fini, le voyage? « Oh non! » Pour René Ouellet, les mots « cœur », « passion », « rêve » et, bien sûr, « partage » sont au centre de son aventure. Après avoir tant reçu, il sent que c’est à lui de donner. Donner quoi? Le goût du rêve et, bien sûr, de la réalisation des rêves.

« J’aimerais convaincre les gens que l’on peut aller au bout de ses rêves, et qu’il faut le faire. Mais attention, le rêve implique discipline, détermination, sacrifice, mais surtout passion. » Ce n’est donc nullement de la légèreté, encore moins de l’irresponsabilité. René Ouellet sait très bien que les contraintes sociales, les obligations, les habitudes sont autant de facteurs qui nous maintiennent à distance de l’aventure. « J’aimerais néanmoins que la mienne soit un plaidoyer pour la passion, la santé, l’exercice : le bien-être physique et mental en somme. Un rappel de ce désir qui sommeille en chacun de nous. Le tour du monde à vélo, c’était mon truc, ça m’appartient. Pas besoin d’en faire autant! Mais nous avons tous un rêve, si modeste soit-il, et il ne faut pas le négliger. »

Pour René Ouellet, l’aventure se poursuit; le voilà simplement à la deuxième étape, celle, primordiale, du partage : des conférences, des entrevues, un projet de livre… Et aussi d’autres voyages. (J’ai même cru l’entendre parler d’un autre tour du monde…)

Quelques jalons

Décembre 2000/janvier 2002 : Mexique-Argentine (17 500 km)
Février/octobre 2002 : Afrique du Sud-Éthiopie (9100 km)
Octobre 2002/juin 2003 : Grèce-Finlande (7700 km)
Juin/septembre 2003 : Estonie-Bulgarie (4700 km)
Septembre 2003/février 2004 : Turquie-Népal (6900 km)
Mars/mai 2004 : Vietnam-Indonésie (4800 km)
Mai 2004/février 2005 : Australie-Nouvelle-Zélande (9400 km)
Février/juin 2005 : Taiwan-Corée du Sud (5450 km)
Juin/octobre 2005 : Alaska-Canada (9600 km)

Un extrémiste pas comme les autres

Pour le grand voyageur, toucher les « extrémités » de la planète (point le plus au nord, le plus à l’est, le plus au sud…) est un petit fantasme légitime. René Ouellet n’a pas boudé son plaisir et a atteint, à vélo, les six points extrêmes de la planète.
Ushuaia (Argentine ), décembre 2001
Cap Agualas (Afrique du Sud ), février 2002
Cap nord (Norvège), mai 2003
Sentosa Island (Singapour), avril 2004
Slop Point (Nouvelle-Zélande), janvier 2005
Prudhoe Bay (Alaska ), juillet 2005

 
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