Nature et démesure : le parc régional du Poisson Blanc
À l’ouest de la réserve faunique de Papineau-Labelle, le parc régional du Poisson Blanc constitue un réservoir de 30 km de long parsemé de plus de 80 îles. Sauvages, reculés et immensément calmes, ses paysages envoûtent les amateurs de canot-camping avec de l’eau à perte de vue.
On traverse à pied le petit pont en bois qui enjambe le ruisseau. Nos grosses chaussures de randonnée laissent des empreintes de boue sur les planches. Le sentier est encore détrempé après l’averse du matin. On glisse à plusieurs reprises sur les rochers qui servent de marches à travers le bois grimpant. « Ça nous a pris deux bons mois pour aménager ce sentier », explique Jérémie, l’un des membres de l’équipe du parc. « Il a fallu débroussailler et ramener de grosses pierres pour faciliter la montée; on a construit des petits ponts de ce genre avec le bois coupé. Aujourd’hui encore, il faut veiller à ce que la nature ne reprenne pas trop le dessus et, tous les mois, on élague les arbres qui empiètent sur le sentier. » On arrive d’ailleurs devant un immense tronc tombé sur le chemin après la tempête des derniers jours. Jérémie prend des relevés de notre position et les inscrits dans son carnet pour revenir avec la tronçonneuse. Après une bonne heure de marche, on aboutit au sommet de la montagne du Diable, à 520 mètres d’altitude. On fait une pause sur le belvédère et on prend une grande respiration. Nous avons devant nous le plus beau panorama que l’on peut apercevoir sur la partie nord du réservoir. Des centaines d’îles éparpillées, certaines les unes derrière les autres comme des canetons qui suivent leur mère, d’autres éloignées comme pour conserver leur intimité. Sur 30 km de longueur, on découvre ce territoire artificiellement submergé par les eaux dans les années 30 après la construction du barrage des Cèdres, dans les Hautes-Laurentides. Depuis, le site est devenu le paradis des amateurs de plein air.
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Le lendemain matin, jour du grand départ pour l’excursion dans les îles, le temps est maussade et sent la pluie. Effectivement, au moment du déjeuner, c’est une pluie lourde qui s’abat sur la tôle du toit. L’excursion est compromise jusqu’à ce que le temps se lève vers midi et laisse percer quelques rayons de soleil. Sur le ponton, on peut voir une brume épaisse se dégager du réservoir. L’humidité monte en même temps que les degrés et on dirait un immense spectre qui s’envole de la forêt. On emballe le nécessaire pour deux jours de randonnée nautique et on part avec les canots. C’est parti pour l’exploration de cette étendue d’eau à perte de vue! On dépasse la presqu’île pour plonger dans le courant du réservoir. Et là, c’est l’immensité qui s’ouvre à nous.
Avec plus de 80 îles et îlots, le territoire possède un potentiel enviable pour les amateurs de canot-camping. Mais c’est aussi un lieu fragile. Les bateaux à moteur, les chalets sur les bords du lac et le tourisme non régulé avaient depuis longtemps porté un dur coup à la nature du réservoir. « Lorsque l’on a commencé à nettoyer les îles pour créer des sites de camping, on a trouvé de tout sur les plages », raconte Simon Trudeau, le jeune président du parc. « Depuis des dizaines d’années, les gens du coin et d’ailleurs avaient l’habitude de passer leur journée sur les îles et d’y laisser leur trace... » Monticules de déchets, objets abandonnés et manque de respect de la faune et de la flore comptent parmi les actes que son équipe a dû effacer. Depuis 2004, ils travaillent tous les jours à rehausser le potentiel des lieux. Après beaucoup d’heures de travail, la plupart bénévoles, le réservoir ainsi que la montagne du Diable sont devenus un parc régional en 2008 et une réserve de biodiversité en 2009.
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Aujourd’hui encore, la biodiversité dévoile ses secrets tous les jours. Arrivés au goulot d’étranglement entre le nord et le sud du réservoir, là où la voie fluviale se rétrécit sur une dizaine de kilomètres, nous faisons halte dans une crique des plus sauvages. Nous sommes à l’endroit précis où l’un des habitués du parc dit avoir découvert une cascade inconnue. Jérémie et Simon veulent vérifier cette information de leurs propres yeux. On débarque sur une berge instable en contrebas du cœur de la forêt. On joue à un vrai jeu de piste en suivant les indications sur notre GPS. Le doute s’installe sur l’existence de cette cascade mystérieuse : nos deux guides connaissent bien le territoire et ignorent pourtant son existence. Après vingt bonnes minutes à fouiller des yeux à travers les arbres et à serpenter parmi le bois mort, Jérémie nous crie qu’il a trouvé quelque chose plus haut. Nous nous frayons un chemin dans la végétation luxuriante et tombons face à une superbe cascade sauvage qui jaillit des roches millénaires. Après réflexion, ce n’est pas si incroyable de ne jamais être tombé sur une pareille trouvaille puisque l’étendue du parc est immense. « Encore beaucoup de sites comme celui-là sont à découvrir au gré des explorations », dit Simon Trudeau.
Cette chasse au trésor terminée, il est temps de continuer notre chemin sur l’eau. On ne croise personne durant des heures. Le réservoir est trop vaste et encore trop méconnu pour attirer les grandes foules. On dépasse des îles, toutes de taille et de nature différentes. On met pied à terre sur l’une d’elles pour une halte dîner. Elle est dotée d’une belle plage de sable parsemée de gros rochers. On monte une petite côte et on arrive sur le site de camping aménagé. On s’installe sur une table à pique-nique faite avec des planches de bois échoué sur la plage, de vieilles souches en guise de siège. Il y a un espace dégagé pour la tente avec une vue imprenable sur les berges forestières du territoire qui se détachent sur le réservoir. J’apprends de mes guides que le parc offre plus d’une cinquantaine de sites rustiques comme celui-ci. Après avoir nettoyé ces îles et y avoir installé des toilettes sèches pour contrer la dégradation accélérée, l’équipe a attribué une vocation à chacun des sites pour le camping ou pour les piques-niques. Certaines demeurent sauvages et inaccessibles puisqu’elles recèlent d’un trésor de biodiversité à protéger. Il est malgré tout possible de les approcher en kayak pour les admirer de loin.
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L’avantage invétéré du camping dans le parc, c’est qu’il est gratuit et libre d’accès pour la plupart des sites. « La vocation du parc est de faire profiter les amateurs de plein air de cet espace et non d’en faire un site commercial », continue Simon Trudeau. On navigue justement à côté de l’emplacement nº 46, accessible gratuitement et sans réservation pour des groupes jusqu’à six personnes. Impossible de souffrir du voisinage dans de tels lieux! Plus loin, on s’arrête sur une île en U pour grimper le sentier qui mène à un belvédère. Du sommet, on voit l’île mystérieuse et la Paroi Éléphant au loin. Le soir venu, nous jetons l’ancre dans une baie. On monte les tentes dans une clairière qui surplombe la plage. Au bout de celle-ci, une presqu’île mène à un bosquet de feuillus. Avec le soleil qui se couche à l’horizon, on admire la vue que l’on a sur le plan d’eau. On se prend pour Robinson Crusoe, seul sur son île au bout du monde profitant de la quiétude et des joies de la nature. Alors que nous somnolons après un bon souper réconfortant, la nature se réveille et nous assistons à un concert de canards et à la danse des castors. Personne d’autre ne vient troubler cette douce soirée.
Le lendemain, on se réveille avec la clarté du soleil. On embarque notre matériel pour repartir en direction du nord. À part deux bateaux à moteur de pêcheurs s’éloignant rapidement, nous n’avons croisé personne pendant toute l’aventure. On longe de près la Paroi Éléphant où s’accroche audacieusement un frêle arbre sur la roche. Plongeant directement dans l’eau, la falaise séduit de plus en plus d’amateurs d’escalade. Un site de camping y est installé et l’on peut pique-niquer du haut de la falaise. On remonte contre le courant et on lutte contre le vent qui se lève momentanément sur le réservoir qui nous paraît démesurément grand à cet instant. Le goulot d’étranglement facilite le passage et on passe de nouveau devant la cascade découverte la veille, bien cachée derrière sa toison de verdure. Encore une dizaine d’îles laissées derrière nous avant d’arriver à notre point de départ. Difficile de reposer le pied sur le ponton d’embarquement : d’une part, il est engourdi après ces heures passées plié dans le canot et, d’autre part, parce que ça signifie la fin de cette belle aventure sur le réservoir du Poisson Blanc.
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