Catherine Glorieux : fracture bolivienne
Le 21 juin dernier, Catherine Glorieux grimpait, avec ses deux compagnons de cordée, la voie british du pic Wyoming (5 400 m), dans la chaine de montagnes du Condoriri, située dans la cordillère Royale, en Bolivie. Peu avant la fin de la voie, une corniche de glace se détache et tombe sur sa jambe. Double fracture du tibia et du péroné. L’alpiniste québécoise nous raconte son accident et les 16 heures d’évacuation épique pour rejoindre l’hôpital le plus proche...
Racontez-nous votre ascension.
Cinq minutes avant l’accident, je me disais : « Wow, c’est la plus belle grimpe de ma vie! ». C’était une voie extraordinaire, un mélange entre glace, roche et neige. J’avais des étoiles dans les yeux. J’étais en second de cordée. Il y a forcément moins de risques et d’engagements que lorsqu'on est le premier. J’avais vraiment l’occasion d’apprécier le paysage et l’escalade. Jusqu’au moment fatidique... À une quinzaine de mètres de la fin de la voie, nous étions dans un couloir avec de la glace et des pans rocheux de chaque côté. Il y avait donc peu de place, autant pour moi que pour mon autre compagnon de cordée. On installait un relais. Lui assurait le premier de cordée et moi je m’occupais de la gestion de la corde. Il y avait beaucoup de choses qui tombaient sur la voie à mesure que le premier grimpait. J’essayais de protéger ma tête et mon corps, de ces débris de glace, avec le pan de roche. Mais, pour garder mon équilibre, je devais laisser ma jambe gauche dans la voie. Et à un moment donné, paf! Une corniche de glace, d’environ 50 cm sur 50 cm, s’est détachée et est tombée directement sur ma jambe gauche.
Avez-vous tout de suite réalisé ce qu’il s’était passé?
Non. Tout ce dont je me souviens, c’est d’avoir ressenti une douleur comme je n’en avais jamais eu de ma vie. Je pendais dans le vide au bout de ma corde. Je hurlais. Je savais que quelque chose n’allait pas. Quand j’ai cessé de crier, j’ai réussi à me remettre à la verticale et mettre ma jambe droite sur la glace. C’est au moment où j’ai essayé d’appuyer avec mon pied gauche que j’ai réalisé que cela allait vraiment mal. J’ai regardé mon compagnon, qui n’avait heureusement rien eu, et je savais que l’on était dans une fâcheuse posture.
Vous êtes médecin. Avez-vous mesuré l’ampleur de votre blessure?
J’étais capable de bouger ma cheville, mais pas de tourner mon pied sur les côtés. Je n’avais pas l’impression d’avoir d’écoulement de sang dans ma botte. J'étais incapable de mettre du poids sur ma jambe. Cela me faisait penser à une fracture. Mais, dans ces cas-là, on essaye toujours de rester optimiste. Peut-être que ce n’était qu’une simple entorse! Au-delà du diagnostic, je pensais surtout à la question de l’évacuation.
Pourquoi vouloir absolument compléter la voie même avec une jambe en vrac?
J’aimerais vous parler d’héroïsme et de dévotion extrême, mais ce n’est pas ça. Dans certaines voies d’escalade, on monte et on ne peut pas redescendre. C’est le cas avec celle-ci. Il fallait redescendre par une autre voie. Cela aurait été tellement compliqué de descendre par la même voie, techniquement plus difficile et plus dangereux…
Comment se sont déroulés ces 15 mètres?
C'était moche. C’était plus de l’acrobatie que de l’escalade. Je ne pouvais pas planter mon pied gauche dans la glace car la douleur était épouvantable. Je montais avec mes deux piolets et ma jambe droite, assurée par le haut avec le premier de cordée. J’ai réussi à grimper plus ou moins « comme d’habitude », en remplaçant mon crampon gauche par mon genou. Je ne le referais pas, mais cela a marché pareil!
Comment s’est passée l’évacuation?
Ce fut très difficile physiquement et mentalement. Elle s’est faite en plusieurs étapes. D’abord, la descente vers le col du glacier, en se trainant les fesses dans la roche, puis effectuer la désescalade des parois à la force des bras et en boitant. Cela nous a pris quatre à cinq heures, contre 30 minutes en temps normal! C’était très dangereux, j’ai failli tomber plusieurs fois. Puis, on a retrouvé un ami guide, Jesus Catacora Monge, prévenu par notre cuisinier-porteur, Raimundo, qui était monté nous porter secours. La nuit est tombée. Il a fallu faire un rappel de 70 mètres, dans le vide, sur le dos de quelqu’un et dans le noir. Ce fut des minutes très longues. D’autres guides nous ont rejoints pour nous aider. Vers 23 heures, on a fait la descente du glacier, avec une trace simple à suivre, malgré les crevasses. Raimundo et un guide me portaient alors que j’étais assise sur une chaise en corde. Ils alternaient avec Jesus qui me portait, lui aussi, sur ses épaules grâce un système de harnais. Une fois arrivée en bas du glacier, je suis montée sur un cheval, qui n’avait pas du tout envie de travailler! Il m’a quand même ramenée au camp de base. Après que tout le monde ait eu mangé pour reprendre des forces, il fallait continuer à descendre, car j’étais en hypothermie, je grelotais et je sentais de moins en moins mes orteils. On a fait deux autres heures de cheval. Je commençais à m’endormir, à tourner vers la confusion. On est arrivé au Jeep, vers trois heures du matin. J’ai fait la route couchée sur la banquette arrière, jusqu’à l'hôpital de La Paz, autour de cinq heures du matin, seize heures après mon accident. J’ai été opéré le lendemain (le 19 juin).
Avez-vous eu peur d’y rester?
Oui, la peur était présente, mais je n’ai pas fait de crise de panique. Je savais que la mort était possible, mais seulement en cas de complication de ma blessure, à cause d’une possible hémorragie. Je savais que mes deux compagnons de cordée ne m’abandonneraient jamais. J’avais confiance en eux. Après coup, je réalise que toute seule, je serais morte. Ils m’ont sauvé la vie! J’ai été chanceuse d’être entourée de personnes expérimentées, au bon moment, car j’ai gouté aux dangers de la haute montagne.
Que retiendrez-vous de cette histoire?
Je pense que la chose la plus extraordinaire en montagne, ce sont d’abord les gens que l’on rencontre. Cette mésaventure a renforcé les liens d’amitié que j’ai avec mes deux compagnons de grimpe. Une amitié particulière, car elle se forge dans des situations difficiles, où l’on découvre la vraie nature de l’autre. Cela donne des occasions de contacts humains extraordinaires. Cela a aussi renforcé l’amour que j’ai de la montagne. Cette histoire aurait pu me refroidir, avec la peur d’y retourner, mais je ne pense pas que ce sera mon cas. Je n’ai qu’une hâte, c’est d’y retourner après ma rééducation. On peut sortir la fille de la montagne, mais on ne sortira jamais la montagne de la fille!