L’UTMB : épique et unique
« Incomparable ! » C’est le premier mot qui me vient en tête quand on me demande ce que je pense de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, alias l’UTMB. Dubitatif ? Disons qu’après avoir franchi la ligne d’arrivée de cinq ultramarathons sur cinq continents en moins d’un an, j’ai de quoi étayer mes dires. La preuve… par cinq comparaisons.
Amériques – Jamais auparavant mes jambes ne m’avaient fait autant souffrir que sur les pentes des mornes de la TransMartinique. Une torture, renouvelée à chaque pas, alors que mes quadriceps tentent, malgré les dégâts, de me faire franchir ces obstacles volcaniques dressés sur ma traversée de cette île tropicale.
Mais les Alpes allaient m’enseigner qu’une chose manque à ce diamant des Caraïbes : l’altitude. En quittant Chamonix, ça commence tranquillement. Cependant, le mont Blanc nous domine de plusieurs milliers de mètres, comme pour nous prévenir que ça ira moins bien avant longtemps.
Dès le premier col sérieux, celui de la Croix du Bonhomme, je comprends qu’avoir les jambes détruites et manquer d’oxygène est une combinaison dévastatrice. À deux kilomètres et demi au-dessus du niveau de la mer, me voici cerné par de gigantesques silhouettes minérales se découpant sur un ciel d’un noir mat.
Affaissé, à bout de souffle, je me redresse et lève les yeux au ciel. Mon Dieu, c’est plein d’étoiles! Et ce n’est que le premier d’une longue série de passages à 2500 mètres. Si tu veux souffrir, les pentes antillaises sont efficaces, mais les cols alpins, eux, sont impitoyables.
Asie – Se nourrir pendant une épreuve de plus de 100 km n’est jamais simple. Et quand on se retrouve en terre étrange et étrangère, l’équation se complique sérieusement. À Hong Kong, les ravitaillements se devaient d’être exotiques, non ? Et pourtant, pas tellement. Les soupes de nouilles et les boulettes de riz collant, c’était quand même pas mal pour tenir la distance !
Dans le cas de la grande boucle de l’UTMB, les 168 km nous font passer par trois pays : France, Italie et Suisse. Évidemment, les traditions culinaires s’invitent aux points de passage... et la table est mise pour un buffet extraordinaire.
Mais après plusieurs dizaines d’heures de course et deux nuits blanches, les saucissons, jambons, fromages et pâtés perdent tout leur attrait. Verdict ? Pour une expérience alimentaire ultradéstabilisante, la Chine, c’est un bon début, mais la charcuterie européenne, c’est quasiment... antisportif !
Afrique – La Diagonale de Fous de l’île de la Réunion, dans l’océan Indien, est une autre de ces courses mythiques que tout coureur d’ultrafond rêve de faire. Mais une telle popularité se paye. Pour l’obtention d’un dossard, tant l’UTMB que la Diagonale organisent un système de tirage au sort pour sélectionner les trop nombreux concurrents. Une fois ma place acquise, ma chance s’est transformée en dépenses ! Matériel obligatoire, billets d’avion, hôtel… les dollars se sont envolés bien avant moi.
Une fois sur place, les similitudes s’arrêtent. L’accueil réunionnais est chaleureux, rhum à l’appui, mais les coureurs sont forcés de jouer impitoyablement des coudes pour récupérer leur dossard, faire contrôler leur équipement ou se frayer un chemin vers la zone de départ.
À Cham’, par contre, la loi et l’ordre règnent ! Tout est aligné, ordonné, fléché. Difficile de croire que l’organisation gère pendant une semaine complète 10 000 coureurs répartis en cinq épreuves, tellement tout y est impeccable.
Une fois lancé dans les sentiers, le même souci professionnel du détail m’impressionne : marquage pléthorique, bénévoles efficaces, services de navette pour les proches des coureurs, points de ravitaillement spectaculaires – d’ailleurs équipés de caméras qui diffusent automatiquement la vidéo du passage des coureurs sur la page de suivi de la course. Une recette infaillible pour empêcher de dormir tous ceux qui me suivent par ordinateur interposé. Avec l’UTMB, j’en ai vraiment pour mon argent.
Océanie– Pendant un ultramarathon, la fatigue me fait perdre quelques moyens, comme la compréhension d’une langue étrangère. Alors, quand un compétiteur décide d’engager la conversation dans le parc des Blue Mountains avec un fort accent australien, ma seule défense consiste à répondre par des borborygmes tout en ralentissant pour me retrouver seul avec mes neurones embrumés.
Mais cette anecdote, c’est de la petite bière comparée à l’UTMB ! En pleine (première) nuit blanche, complètement déboussolé par les kilomètres accumulés horizontalement et verticalement, je suis soulagé d’apercevoir des bénévoles au passage du col de la Seigne. Stupéfaction de constater qu’on me parle en italien !
Eh oui, je laisse la Savoie derrière moi pour entrer dans la vallée d’Aoste. Plus tard, ce sera de l’allemand, puis du romanche et toutes sortes d’accents français. Flabbergasté, je suis.
Europe – Bon, vous commencez à comprendre que le tour du Mont-Blanc, c’est épique. Musique, compte à rebours, hélicoptères... Oui, cette course est tellement hors norme que la bande-son est écrite par Vangelis et que les images sont filmées du ciel. Et les coureurs viennent du monde entier pour vivre ça.
Non, cette course n’est pas comme les autres : c’est un monument long de 170 km et haut de 10 000 m. Je me doutais bien qu’avec un entraînement dans une ville sans relief située à 20 m au dessus du niveau de la mer, gravir des cols culminant à 2500 m ne serait pas agréable. Dès mon arrivée dans ce domaine, j’ai compris, en contemplant avec effroi les aiguilles rocheuses qui me dominaient, à quel point l’environnement que j’allais affronter m’était totalement inconnu. Et hostile.
Mais quand bien même j’aurais effectué plusieurs tours du monde, ça n’aurait jamais pu me préparer à faire le tour du grand Blanc. Incomparable, je vous dis.