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  • Crédit : Alexis Berg, Ultra-Trail World Tour

Ultra-Trail World Tour : Droit devant dans la Diagonale des Fous

Il est parti comme un fou, Cyril Cointre, à la Réunion. Et bientôt, celui que l’on surnomme « Coincoin » jouerait le lièvre pour son ami, Antoine Guillon le métronome. Deux coureurs d’exception à l’assaut de la Diagonale des Fous, deux personnages d’une fable où l’un va se sacrifier pour que l’autre devienne champion du monde. J’y étais. Et j’ai couru aussi

L’Ultra-Trail World Tour, c’est un circuit de plus d’une dizaine de courses de 100 km ou plus (ultra) se déroulant en milieu naturel (trail), sur tous les continents (world). À chaque course, des points. Avec les points, un classement (tour). Et en octobre de chaque année, la dernière épreuve précipite les prétendants au titre mondial dans les cirques volcaniques — des enceintes naturelles — de l’île de la Réunion. Une finale disputée à flanc de volcan, au milieu de l’océan Indien. En 2015, j’y ai participé : mon sixième et dernier ultra de l’année.

Antoine Guillon y était, lui aussi. Encore. Il connaît ce caillou comme le fond de sa poche. Chaque ravine, chaque raidillon, toutes les anfractuosités de ce domaine inaccessible protégé par l’UNESCO, Antoine les maîtrise. Mais il n’a jamais gagné. Huit participations, quatre fois sur le podium, jamais au sommet. Cette année, « Tonio » est prêt. Il veut gagner cette Diagonale et, au passage, ravir le titre de l’UTWT. Pour ce faire, il doit assommer ce Lituanien dont le nom semble être tout droit sorti d’un roman de J. K. Rowling : Gediminas Grinius.

Pour ce duel, Gediminas étant militaire, Antoine est venu armé : le missile Coincoin, le dernier cri dans la technologie des lièvres. Feu à volonté! J’y étais aussi, simple recrue qui ignorait tout des pitons qui l’attendaient.

Crédit : Alexis Berg, Ultra-Trail World Tour

Au départ, à Saint-Pierre, les troupes se sont élancées, des milliers de soldats anonymes précédés par l’élite des mercenaires du trail. Quelques kilomètres en ville, sur la route longeant l’océan infesté de requins, pour ensuite emprunter les sentiers des champs de cannes à sucre et monter, monter, monter les pentes de « l’île intense » et s’engouffrer dans les ruines mille fois millénaires du volcan effondré.

Du duel entre Guillon et Grinius, je n’ai rien vu, bien trop lent pour suivre leur cadence. Mais j’ai gravi les mêmes sentiers vertigineux, traversé les mêmes plaines où l’oxygène se fait rare, puis suivi les mêmes lacets interminables plongeant dans Cilaos, mille mètres plus bas.

J’y étais et, comme eux, je me suis extirpé d’un premier cirque pour sombrer dans un autre, plus sauvage encore : Mafate. Cet endroit, on n’y entre et en sort qu’à pied. Ou par la voie des airs en cas d’urgence absolue. Mais aucune route ne défigure cette caldeira au relief indescriptible, incompréhensible.

J’y étais et, comme eux, j’ai couru toute une nuit et toute une journée. Mais contrairement à Antoine, j’ai couru une deuxième nuit et une deuxième journée. Lui dormait déjà, ayant gagné en à peine plus que 24 heures. Gediminas avait abandonné. Cyril, lui, jouait le rôle du lièvre de La Fontaine à la perfection.

Incapable de suivre le rythme imposé par son ami, Cyril le missile a explosé en vol. Au Maïdo, à deux mille mètres d’altitude, après avoir vaillamment ouvert la voie à Tonio le métronome, Cyril Coincoin était claqué et s’est couché, tout simplement. Il s’est endormi, mais non sans avoir auparavant donné l’ordre aux bénévoles de ne pas le réveiller.

Crédit : Alexis Berg, Ultra-Trail World Tour

Moi aussi j’ai dormi, dès le début de cette folle diagonale. Affaibli par un long voyage en avion, un décalage horaire massif et une otite, j’étais fatigué avant même le départ. Titubant après seulement quelques heures de course, j’ai négocié une heure de sommeil sur un lit de camp. Vingt-quatre heures plus tard, je me suis allongé de nouveau et j’ai plongé deux heures dans l’oubli d’un sommeil réparateur.

Jamais je n’avais autant dormi pendant un ultra. Mais Cyril, lui, a vraiment fait les choses en grand. Atomisé par l’effort, il lui aura fallu douze heures avant de refaire surface. Sept cent vingt minutes pendant lesquelles ses concurrents continuaient d’avancer tandis qu’il gisait, inerte mais bienheureux, dans les bras de Morphée-de-la-Réunion.

Au sortir de cette glorieuse syncope, il ne perd pas le nord et téléphone à son gérant : « Je fais quoi? Je continue ou j’abandonne? » Car oui, malgré cette pause éléphantesque, il est toujours largement en deçà des barrières horaires imposées par les organisateurs.

« Bah, tant qu’à être venu ici, continue! » Et le lièvre Coincoin a continué. Moi aussi.

Crédit : Alexis Berg, Ultra-Trail World Tour

À quelques heures d’intervalle, nous sommes redescendus des hauteurs embrumées du volcan. Nous avons fendu la forêt de tamarins des Hauts. Nous avons négocié les horribles pavés du chemin des Anglais, sachant qu’ils menaient au Colorado, parc mythique annonçant l’ultime descente vers Saint-Denis, le stade de la Redoute et sa piste d’athlétisme, point de chute de cette traversée de la Réunion.

Cyril et moi avons donc franchi l’arche du Grand Raid. Même kilométrage de 164 km, même dénivelé positif flirtant les 10 000 mètres, mais en terminant en un peu moins de 39 heures, il m’aura tout de même devancé de presque quatre heures malgré sa fabuleuse sieste. Antoine, lui, est bel et bien devenu champion du monde.

J’y étais. Je l’ai vu le lendemain sur la pelouse du stade. Discret, humble, serein. Cyril aussi y était. Détendu, souriant, reposé. De Gediminas, pas une trace. Avalé par le volcan, sans doute.

Et moi, j’étais enfin en vacances, ma saison prenant fin avec un total de plus de 1000 kilomètres en seulement six événements. Parmi ceux-ci, sans trop y faire attention, deux faisaient partie de l’UTWT. J’avais donc automatiquement accumulé des points à la suite de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc et cette Diagonale, assez pour terminer en 135e place au classement mondial. Apprenant peu après que les trois meilleurs résultats de chaque coureur sont utilisés pour ce calcul, je me suis demandé quel aurait été mon rang avec une course de plus…

Ainsi est né mon projet de courir à Hong Kong, en Australie et dans les Alpes françaises en 2016. À suivre dans la prochaine édition d’Espaces!


Parti en Diagonale, récit de course de Frédéric Berg, lors de l’édition 2013


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