Skier nippon
Un road trip épique pour dénicher la meilleure poudreuse d’une île aux écriteaux indéchiffrables.
Est-ce que c’était notre autobus qui vient tout juste de partir? Amélie et moi venons d’arriver à l’aéroport de Sapporo : 14 heures de vol sans escale... Après plusieurs minutes, nous finissons par trouver quel autobus nous devons prendre pour nous rendre à l’hôtel. Nous descendons après un court trajet durant lequel les passagers rigolaient timidement en voyant la quantité de bagages que nous trainions de peine et de misère. Au beau milieu de la ville de Chitose, avec une carte pleine de symboles japonais pour s’orienter, nous dénichons notre chambre et nous nous effondrons dans nos lits.
Notre présence ici a pour seul but de trouver la meilleure poudreuse pour skier. Et nous avons l’embarras du choix : l’archipel nippon abrite environ 500 centres de skis dont les précipitations annuelles moyennes sont d’environ 14 mètres! On est loin des 6,5 mètres que le Massif se targue de recevoir où encore les dix mètres de Whistler.
Premier arrêt : Niseko. Cette station située sur le massif volcanique Annupuri est souvent appelée la capitale mondiale de la poudreuse. Durant les quatre jours consécutifs que nous y avons passés, la montagne a reçu plus de 40 cm par jour. La neige est légère et vient nous caresser le visage à chaque virage. Le rêve de tout skieur!
À l’est de Sapporo, les montagnes qui bordent le parc national Daisetsuzan voisinent les 2 000 mètres et reçoivent chaque année d’abondantes précipitations de neige. C’est l’une des destinations hors piste prisées des Japonais. Après une courte approche et une traversée de ruisseau aux eaux sulfureuses, nous débutons vers la montée du mont Furano. Les forts vents nous forcent à rebrousser chemin avant la cime, mais la forêt est suffisamment éparse pour que nous n’ayons aucune difficulté à nous frayer un chemin vers le bas au travers de cette végétation de conifères. Nous recommençons le même manège jusqu’à ce que nos jambes ne nous permettent plus d’effectuer de virages. Un effort si noble mérite récompense : une source thermale naturelle est heureusement située tout près.
Cette source est minimalement aménagée et comporte plusieurs bassins de différentes températures. Je prends mon courage à deux mains et me dirige vers le bassin le plus loin de la source, celui qui devrait être le plus froid. Ouch! Ça brûle! Amélie rit de ma « moumounerie »! L’eau est vraiment très chaude, mais après quelques efforts, je finis par me glisser complètement dans l’eau alors qu’une légère neige commence à tomber. Cette baignade improvisée satisfait mes muscles endoloris par les nombreuses montées et descentes. Cette version naturelle des onsen remplit totalement son rôle de détente. Ce rituel ski-détente deviendra notre nouvelle religion au fil des journées de poudreuse. Les sources thermales sont présentes un peu partout sur l’archipel nippon et les Japonais en sont friands.
Un peu plus au nord, nous décidons d’arrêter dans un centre de ski modeste, mais avec une possibilité de ski hors-piste intéressante. La station de Kamui Ski Links a reçu près de 50 cm de neige avant notre arrivée! Après avoir sillonné les pistes pour profiter de cet or blanc, nous nous dirigeons vers le hors-piste. La neige est profonde, très profonde! En fait, c’est la neige la plus profonde sur laquelle je n’aie jamais skié à partir d’un centre de ski! Et dire que nous sommes les seuls à jouir de cette légère poudreuse. D’une descente à l’autre, nous ne retrouvons que nos traces. Vive le ski sur semaine!
Un skieur local rencontré lors d’une remontée nous suggère d’aller visiter une des plus réputées brasseries de sake qui est située à Asahikawa. Parfait! Il faut dire que le sake qu’on trouve ici se situe à des années-lumière de ce que nous avons au Québec. Nous nous retrouvons donc à l’intérieur de cette brasserie qui fabrique du sake sec, du sake fruité, une liqueur à base de thé et de sake, une autre à base de prunes et de sake, du whisky, du scotch et même du gâteau à base de sake! C’est avec un sourire plutôt facile qu’Amélie et moi ressortons de cette visite « culturelle ». Il fallait bien en profiter, car Amélie doit retourner au Québec et c’est mon père qui prendra la relève. Ennuyé par un claquage à la cuisse, je reste cloué au chalet pendant les premiers jours de la visite de ce dernier. Je le regarde donc skier alors que je m’occupe de planifier notre périple de près de 1 500 km qui nous conduira jusqu’à l’aéroport de Tokyo.
Avant de quitter Hokkaido, nous décidons que mon père effectuera une visite à un col routier qui nous semblait prometteur. Sur place, le potentiel prend forme : de chaque côté de la route s’étendent des pentes de 40 à 45 degrés d’une hauteur d’environ 250 mètres. Mon père, revient tout fébrile, en disant : « Je ne suis même pas capable de monter sur le banc de neige tellement la neige est trop molle! » Comme il a l’habitude d’être facilement excité par la perspective d’une bonne journée de ski, je ne l’écoute pas vraiment. Mais quand j’essaie de mettre mes skis pour l’ascension, je dois me rendre à l’évidence : il y a vraiment beaucoup de neige! À chaque pas, nous nous enfonçons jusqu’à la mi-cuisse malgré la largeur imposante de nos skis. Une fois rendus en haut, nous nous assurons de la stabilité du manteau neigeux avant de commencer la descente. Mon père s’élance le premier et le spectacle que ses virages m’offrent est un souvenir que je n’oublierai jamais. À chacun d’entre eux, je le vois disparaître complètement pour réapparaître un peu plus loin avec, dans son sillage, une longue traînée de neige. Lorsque j’amorce ma descente, je sombre dans un nuage opaque de fins cristaux. La visibilité est pratiquement nulle tellement il y a de la neige. Une chance que le bois est clairsemé! Comme des enfants, nous remontons et recommençons encore et encore. Cette journée de ski est une des plus belles journées de ski de ma vie.
Remis de nos émotions, nous entreprenons un long road trip qui nous mène de Hokkaido jusqu’au centre de Honshu. Notre modus operandi est fort simple : skier six heures par jour dans un minimum de 30 cm de neige, conduire quatre à cinq heures dans un trafic de plus en plus dense, manger un souper accompagné de riz, une saucette dans un onsen, puis dodo. Le plus difficile durant cette aventure est de choisir quel centre de ski nous allons visiter!
Après avoir passé une autre semaine à attendre de la nouvelle neige, nous décidons de retourner vers Hokkaido par traversier. C’est regrettable, car à en juger par les bancs de neige de près de quatre mètres de haut, Dame Nature peut être très généreuse dans la région! Les conditions de neige sont bien meilleures sur Hokkaido et l’excitation de skier encore sur de la neige fraîche et molle nous redonne des ailes.
Nous retournons aux meilleurs endroits que j’ai visités avec Amélie et mon père, mais le compteur tourne trop vite et nous devons nous rendre à l’évidence : il faut repartir! Fini les sushis comme collation en montée. Fini d’acheter des aliments un peu louches à l’épicerie et de tirer à pile ou face pour savoir qui les goûtera en premier. Fini d’acheter du café en canette dans des machines distributrices. Fini d’être perdus parce que nous avons mal compris la carte routière en japonais. Fini de perdre 15 minutes pour comprendre le tableau des prix des billets de ski! En fait, disons que c’est plutôt partie remise…
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Evans Parent est un skieur-globetrotter commandité par Outdoor Research, Scarpa, Gregory, Leki, IO-Bio et Darn Though. Vous pouvez suivre ses dernières aventures au Japon, en Inde ou en Europe de l’est sur son blogue au www.snowchasers.blogspot.com