Chronique voyage : La « menace » AirBnB
Il pleut. J’arrive à Londres dans le quartier de Shoreditch, où j’ai déniché un charmant appartement sur le site AirBnB. « La clef sera sous le pot de fleurs à gauche de la porte », m’avait écrit mon hôte Sandy. J’entre. Sur la table de la cuisine, une note de bienvenue avec les règles de la maison ainsi qu’une liste d’endroits sympas, où manger, faire l’épicerie et sortir. Je déposais mes valises sur le lit et regardant par la fenêtre, je me sentais déjà un peu Londonienne.
J’avoue : j’adore AirBnB. Rester chez les gens me permet de m’imprégner des communautés locales, dans des quartiers plus résidentiels où souvent il n’y a pas d’hôtels. J’y ai eu recours tout au long du tournage de mon émission à Évasion et j’utilise particulièrement le service lorsque je fais des escapades entre amis. Mais si AirBnB, aujourd’hui implanté dans plus de 34 000 villes du monde, fait le bonheur des voyageurs ainsi que des hôtes cherchant à arrondir leurs fins de mois, on ne peut dire que ça fait l’affaire de tous.
Au Québec, AirBnB est encore illégal. Selon la loi, on ne peut louer sa propriété pour moins de 31 jours sans permis. Ceux qui le font pourraient recevoir une lettre de Tourisme Québec et se voir coller des amendes. Pourtant, ça n’empêche pas les quelque 4 000 membres québécois à être actifs sur la plateforme. Les trois quarts louent leurs maisons, chambres, ou appartements dans la grande région de Montréal.
Prenez Dany Papineau par exemple. Ce Québécois habite le quartier d’Hochelaga-Maisonneuve. Sans le sou après avoir investi des dizaines de milliers de dollars dans un projet de film, il s’est vu dans l’obligation de mettre sa maison en vente afin d’éviter une faillite personnelle. Son courtier lui a plutôt suggéré de louer sa maison à des voyageurs sur AirBnB. C’était il y a deux ans. Depuis, Dany estime avoir fait 200 000 $. Un revenu qu’il déclare aux impôts : « Ce que j’ai fait est venu d’un besoin financier. Et ça a changé ma vie. C’est une véritable révolution ce service-là », m’a-t-il dit en entrevue téléphonique.
Dany loue maintenant quatre propriétés à des touristes du monde entier. Il vient de lancer AirBnBsecrets.com, un site destiné à un public international sur lequel il offre des cours, sous forme de capsules vidéo, dévoilant ses secrets afin de maximiser l’expérience AirBnB et devenir un hôte à succès. Parmi les sujets qu’il aborde : comment se bâtir une réputation crédible lorsqu’on débute, ou encore, comment estimer un revenu mensuel potentiel.
Selon lui, AirBnB ne fait pas que bénéficier aux voyageurs et aux hôtes, mais également aux entreprises de son quartier, normalement peu fréquentées par les touristes. Une affirmation que supporte la compagnie californienne, qui a compilé des données entre avril 2013 et mars 2014 et évalue les retombées économiques du service au Québec à 54,6 M$. De plus, toujours selon ces mêmes données, 42 % des hôtes AirBnB du Québec sont des travailleurs autonomes, alors que 36 % des hôtes gagnent moins que 45 000 $ par année.
Les autorités ne peuvent tout simplement plus continuer d’empêcher AirBnB de s’épanouir au Québec. Les temps ont changé. Nous vivons à l’ère de l’économie du partage. Les lois qui régissent présentement les hôtes ont été créées à une époque pré-Internet. Elles doivent être modifiées afin de s’adapter à la réalité d’aujourd’hui – celle de la consommation collaborative.
AirBnB. Qu’en est-il de la sécurité?
La beauté du service, c’est qu’il fonctionne grâce à des références et des recommandations. Je ne prétends pas que les désagréments avec AirBnb sont nuls – j’ai moi-même un jour débarqué dans un appartement qui sentait la pisse de chat – mais quand tu choisis un logement qui a 100 commentaires positifs, il est fort probable que tout se passe bien et vice-versa lorsque les hôtes sélectionnent les voyageurs qui viendront dormir chez eux. Sur plus de 1 000 visiteurs, Dany Papineau affirme avoir seulement vécu une mauvaise expérience. Un party qui a mal tourné et qui a emmerdé les voisins. Depuis, il a changé ses techniques de booking. Il pose davantage de questions, il vérifie avec soin les commentaires sur les profils des voyageurs.
Du côté de San Francisco, la ville natale de AirBnB, des mesures ont été mises sur pied à l’automne 2014 pour légaliser et encadrer le service. Les hôtes doivent maintenant s’inscrire à un registre, au coût de 50 dollars. Et s’ils louent tout leur logement, ils ne pourront le faire plus de 90 jours par an. Au-delà des 90 jours, ils devront être sur place. Les voyageurs devront quant à eux être assurés et payer une taxe d’occupation, qui aux États-Unis, est collectée directement par AirBnB à la place des utilisateurs. C’est un pas dans la bonne direction, dont on pourrait s’inspirer ici.
Car peu importe les règlements, aussi archaïques soient-ils, je doute qu’on puisse stopper AirBnB. L’internet a bouleversé nombre d’industries : la musique, la télévision, les journaux, les taxis, le shopping, et j’en passe. Il n’y a pas de retour en arrière, mais nous pouvons encadrer ces nouveaux services afin que ce soit équitable pour tous. Je crois fortement que les hôtels et AirBnB peuvent cohabiter.
Mais l’industrie hôtelière doit s’adapter : proposer des services plus personnalisés, une valeur ajoutée, maintenir un excellent service à la clientèle, un design unique, offrir au voyageur une expérience, viser un différent créneau. Un groupe comme Hilton par exemple, pourrait offrir des logements dans des secteurs résidentiels, décorés comme l’appartement d’un résident, mais brandés avec les valeurs de l’hôtel. Faisons preuve de créativité!
L’autre option est de rester dans son coin à ruminer contre le progrès et envoyer des lettres et des amendes pendant que le train passe. Ça ne me semble pas très intéressant.